Jour 237 – La Paz

Je rejoins ce matin le point de rendez vous d’un des Walking tours sur la place devant la basilique San Francisco. Il n’y a pas foule pour la visite, nous partons seulement à deux, avec un péruvien nommé Joaquin et notre guide du jour, Ariel. Nous ne sommes pas seuls sur la place qui commence à se remplir. J’avais reçu un mail du ministère des affaires étrangères qui me prévenait de la journée de manifestation prévue en ce 21 février, mais j’avais un peu oublié. Là, on se retrouve en plein au point de rassemblement du cortège en faveur du président Evo Morales. Pour re situer le contexte, Evo Morales est dans son 3ème mandat, ce qui fait déjà qu’il détient le record de la plus grande présidence en Bolivie. Mais ce dernier veut se représenter une quatrième fois aux élections en 2020 (pour un mandat jusqu’en 2025…). Il a organisé un référendum pour modifier la constitution et avoir le droit de se représenter une 4ème fois. Le non l’a emporté, mais le président a décidé de quand même briguer un nouveau mandat. Il a aussi muselé l’opposition en faisant juger ses adversaires pour divers motifs, en destituant les juges de la cour suprême qui n’étaient pas en sa faveur, entre autres moyens de pression utilisés.

 

Notre guide Ariel est un peu perturbé, pour lui la dictature est en train de revenir à grand pas, et la démocratie qui semblait enfin mise en place est totalement bafouée. Il est particulièrement touché et intéressé par la vie politique, car il nous dit être un descendant direct d’un des acteurs de l’indépendance de la Bolivie et de la Paz, Sagarnaga. C’est d’ailleurs toujours son nom de famille, et aussi le nom d’une des rues célèbres de la ville.  Le tour de la ville prend une dimension assez politique vus les événements qui se déroulent autour de nous. Nous nous déplaçons un peu plus haut dans la ville pour commencer le tour, car le bruit sur la place devant la basilique ne nous permet pas de nous entendre. Nous nous rendons au marché des sorcières. Il y a plusieurs marchés comme ça en Bolivie, celui-ci a un pendant boutiques de souvenirs mais conserve encore l’activité de vente traditionnelle. La magie blanche est une pratique complètement acceptée et normale pour les Boliviens, elle fait partie de leur culture. La magie noire existe aussi, mais elle est condamnée, d’ailleurs la Bolivie est un des derniers pays au monde à avoir condamné des gens pour l’avoir pratiquée. Dans tous les cas, la magie est utilisée pour s’occuper des âmes. Les boliviens croient dur comme fer qu’il doivent s’occuper de leur âme et qu’elle ne doit pas trop s’éloigner de leur corps pour qu’ils restent des humains. C’est d’ailleurs en jouant sur ces superstitions (et les boliviens en ont beaucoup), que les franciscains ont réussi petit à petit à les convertir, en leur faisant croire que leur âme avait élu domicile dans les églises, et que s’ ils lui rendaient visite tous les jours tout se passerait bien. Autre élément en vente sur le marché et essentiel à la pratique de la magie blanche, des fœtus de lamas, oui oui…. Il sont séchés et pendus dans la boutique c’est charmant. Après et c’est plutôt rassurant, aucun de ces fœtus n’est mort de la main de l’homme. Ariel nous apprend que le lama est un des seuls capable de provoquer un avortement seul en mangeant des herbes qui empoisonnent ses bébés. Car la femelle pour survivre à la grossesse, en altitude et à cause du manque d’oxygène, ne peut porter qu’un seul bébé à la fois. Si jamais il y en a plusieurs, sa vie est en danger. Elle le sent s’il y en a plus d’un et elle avorte la portée, elle peut en tenter une nouvelle dans les 4 mois qui suivent. Parfois, les bébés qui naissent sont trop faibles et en fonction de la saison de naissance, ils meurent dans la foulée de l’accouchement. Le lama étant un animal sacré ici, tous ces fœtus et bébés morts sont donc utilisés pour la pratique de la magie blanche, qui est sensée attirer le bon œil et aider à réaliser les vœux de celui qui la pratique.

 

L’arrêt suivant se fait sur la place du général Sucre, devant un bâtiment bien particulier, la prison de San Pedro. Cette prison est unique (pas forcement dans le bon sens) en Amérique du Sud. Ici, les policiers et gardiens restent devant les bâtiments, et la prison est en autogestion par les détenus. C’est une ville dans la ville, chaque prisonnier doit payer un loyer, les plus riches ont des suites, certains vivent avec leur famille, les plus pauvres dorment dans les couloirs, ou dans des box de 4m² entassés à 15. L’article suivant explique très bien ce qui s’y passe, bien mieux que je ne pourrais le résumer : http://www.liberation.fr/grand-angle/2007/07/04/san-pedro-le-village-prison_97569

 

Ariel nous explique aussi, que certains baros de la drogue présents ici peuvent continuer en toute impunité leur trafic, et même préfèrent le faire d’ici. Il sont protégés par les policiers à l’entrée, bénéficient d’une suite tout confort, et sortent quand ils veulent. Les prisonniers de luxe ont même une entrée à part, et un accès direct à la banque voisine. Tout ce système est bien hallucinant, mais à l’image d’un pays dirigé par un homme soupçonné d’être trafiquant de drogue lui-même, un vice-président ayant purgé pour sa part une peine de 5 ans en prison de haute sécurité pour des attaques à la bombe, et puis d’un pays rongé par la corruption et les intérêts personnels des politiques. Ariel parait bien dépité en nous expliquant tout ça. C’est un peu un choc pour moi de voir l’envers du décor de ce magnifique pays qui a pourtant tant à offrir.

 

Notre dernière étape se passe sur la Plaza Murillo. Sur cette place se situe le kilomètre zéro du pays, et autour se trouvent entre autres la cathédrale, le congrès et le palais présidentiel. A l’arrière du palais présidentiel dans lequel Evo Morales ne vient que travailler (car trop de présidents se sont fait assassiner dedans), ce dernier fait construire un gigantesque immeuble (immonde au demeurant), pour en faire sa nouvelle résidence. Cet immeuble ne sera pas encore fini en 2020, et il y a peu de chance qu’il le fasse construire pour son successeur… si ce n’est pas une nouvelle preuve qu’il compte squatter le pouvoir encore un moment (d’après Ariel). Le palais présidentiel actuel, a été démonté pièce par pièce et transporté depuis Sucre quand la gestion administrative du pays a été déplacée, suite à une tentative de coup d’état des élites de la ville de Sucre. Malgré tout, la modification constitutionnelle pour le changement de capitale n’ayant jamais été faite, légalement parlant il est anticonstitutionnel que les instances gouvernementales soient à la Paz, mais le pays n’est pas à une contradiction près ! Concernant le congrès, c’est un beau bâtiment, et ce qui interpelle, c’est l’horloge sur le fronton qui est construite « à l’envers ». C’est une autre lubie du président, qui veut par ce geste combattre l’ordre établi par les nations de l’hémisphère nord. En effet, nos horloges sont comme elles sont car elle ne font que reproduire le sens de rotation d’une horloge solaire. Hors dans l’hémisphère sud une horloge solaire tourne dans le sens inverse du nôtre, d’où l’horloge un peu révolutionnaire présente sur le congrès.

 

Je laisse là Ariel et notre compagnon péruvien, je cherche à déjeuner dans le quartier. Nous sommes en bordure des cortèges et le quartier est entièrement bouclé par les policiers et les forces d’interventions spéciales, je dois dire que je ne suis vraiment pas à l’aise avec l’ambiance à ce moment-là, et en même temps j’ai l’impression d’être un observateur de l’histoire. Je n’aurais probablement jamais pu avoir l’information, tout du moins aussi détaillée de ces événements lointains sans être présent ici. La pluie fait son arrivée et dissémine un peu la foule, j’en profite pour repasser de l’autre côté du cortège et retourner dans le quartier de l’hôtel. Je passe un bout de l’après midi à organiser et réserver différentes sorties pour occuper la fin de mon séjour bolivien, puis je retourne à l’hôtel. Je m’y sens un peu plus en sécurité, au loin on entend encore le rugissement de la foule, et les pétard qui explosent sans cesse. Je me dis que je vais de surprise en surprise en Bolivie, en prévoyant un mois de visite ici, j’étais loin de m’attendre à tout ce que j’y ai découvert.