Jour 235 – Isla del sol

Réveil matinal pour partir tôt sur les chemins de l’île. Le programme est ambitieux, une vingtaine de kilomètres pour faire le tour de l’île en passant par le sentier des crêtes et au nord avant de rentrer par la côte. L’objectif est aussi de partir avant l’arrivée des premiers bateaux. Je me refais la même ascension qu’hier pour atteindre le haut du village, avec un peu moins de peine j’en suis ravi, mon acclimatation à l’altitude semble se faire. Une fois sur la crête, j’emprunte le chemin en direction du nord, il est en bon état, le temps est bon, mon humeur est au beau fixe. Un kilomètre plus loin, je passe à coté de la billetterie, mais elle n’est pas encore ouverte, je me dis « chouette » ce sera gratuit ! Enfin c’est ce que je crois, mais un homme me court après et me rattrape.

 

Il m’annonce que le chemin est fermé et que la partie nord de l’île, enfin correction 9/10ème de l’île est strictement interdite aux touristes. Je fais un tour d’ascenseur émotionnel, après le bon démarrage de ce matin c’est un peu la douche froide, tout mon programme de la journée tombe à l’eau. Mais aussi la raison pour laquelle je suis resté deux jours sur l’île, et puis la partie nord est ultra réputée et ce n’est pas tous les jours que je pourrais venir ici. J’ai un peu de mal à me contenter du seul non du gardien pour faire demi-tour sans discuter. J’essaie de comprendre pourquoi. Le gardien lui monte un peu en pression, car il pense que je ne comprends pas qu’il m’interdit le passage, il me prend même en photo pour éventuellement l’envoyer à d’autres gardiens. L’ambiance est un peu tendue, mais je suis content d’avoir réussi à retrouver des mots d’espagnol, c’était le bon moment. Selon lui, il y a des tensions entre communautés à cause de la présence des touristes, car certains se sont mal comportés vis-à-vis des ruines incas et de l’île. Aussi, la communauté plus au nord aurait incendié des maisons. Mon interlocuteur, Esteban de son nom, s’avère un peu plus courtois et causant au fur et à mesure de la discussion. Je passe un petit moment avec lui, à parler de sa terre, de l’importance de l’île, de la Pachamama (la terre mère) pour son peuple. Il essaie de m’apprendre quelques mots de sa langue, il ne parle espagnol qu’avec les touristes et les autres communautés. Nous parlons de la nature, je lui montre que je suis respectueux et que j’aime y passer du temps et marcher. Il semble avoir une dent contre les gringos « corrompus » par l’argent selon lui. J’arrive à lui montrer qu’il ne doit pas me mettre dans cette case. Il me dit que les descendant d’incas ont encore le droit de fouler la terre, je crois presque qu’il va m’y autoriser à passer, mais non. Il m’autorise par contre à grimper sur le sommet voisin, et à m’installer dessus pour la journée si je veux pour méditer.

 

Je prends cette offre, c’est mieux que rien. Je grimpe sans suivre réellement de sentier, la végétation peu dense, et les étages naturels ou artificiels (pour les cultures en étages) du flanc de la montagne m’aide. Une fois au sommet, je découvre effectivement une vue magnifique ! Je profite un moment, mais je n’ai pas du tout envie de méditer toute la journée, et je suis frustré d’être bloqué dans mon avancée. Je fais quelques recherches pour essayer de mieux comprendre le problème. Je trouve des infos comme quoi le nord est accessible, et pas dangereux comme Esteban me l’a dit. D’autres informations confirment l’inaccessibilité. Je comprends aussi que le problème d’origine est la répartition de la manne financière rapportée par le tourisme entre les communautés. J’avais un peu de mal à croire le beau discours d’Esteban sur le fait que l’argent leur est inutile, et qu’ils vivent de leur travail agricole uniquement. Après tout, avant la fermeture des sentiers il y avait des taxes pour pouvoir les emprunter. Comme expliqué, il y a eu des incendies criminels et ils ont vraisemblablement déclenchés il y a un an ces mesures restrictives. Je comprends que les différentes communautés n’ont plus vraiment de relations. Celle du sud garde les touristes, celle du milieu contrôle et bloque le passage pour priver celle du nord, dont certains membres sont à priori responsable des incendies. Je lis que si j’arrive à rallier le nord, je pourrai rentrer sans encombre, je me dis aussi que dès ce matin j’aurais dû me rendre au nord en bateau et rentrer à pied.

 

Maintenant que je suis là, et après la lecture d’un témoignage qui semble dire que c’est possible, je tente d’avancer et de rallier le chemin de la crête en évitant les checks point et les villages, pour rester éloigné au maximum de la population. J’ai un peu l’impression d’être un agent secret en mission, j’avance en essayant de me faire le plus discret possible. Ça marche, un moment, et je profite du merveilleux environnement dans lequel j’avance. Je me dis juste qu’à cette allure je ne suis pas arrivé. J’arrive à éviter les éleveurs que je croise, pendant un moment, je me fais finalement repérer par un vieil homme. Il me demande de l’attendre mais je sais ce qu’il va me dire, j’essaie d’éviter la confrontation mais il ne lâche pas l’affaire. Il me dit ce que je sais, j’essaie de m’en dépatouiller pour continuer mon avancée, mais il me menace carrément. Je lui dis que je vais rallier le chemin et rentrer au sud, car ses gestes n’étaient pas équivoques, les menaces étaient très claires. J’avais envie de voir l’autre côté de l’île mais quand même. Surtout que j’ai lu qu’une Coréenne avait été assassinée en janvier, j’arrête de jouer et je fais demi-tour. Je continue l’ascension pour rejoindre le chemin, je suis mis en échec mais je n’ai pas envie de repasser devant Esteban en venant du chemin qu’il m’a interdit d’emprunter, je tente de faire le tour pour l’éviter, mais trop tard il m’a repéré et me rejoint…. Je suis bien pris en faute et un peu piteux, je ne suis pas forcément fier de ma décision pour le coup. Je m’excuse auprès de lui, et lui dit que je revenais vers lui de toute façon, il ne semble pas m’en tenir rigueur, du moment que je le suis. Au passage il me montre des éléments naturels que je n’aurais pas pu voir si je n’avais pas avancé jusqu’ici, il est bon joueur quand même.

 

Une fois revenu à sa cahute, je me pose un peu le temps de décider comment je vais occuper le reste de la journée. A ce moment-là, un couple de touristes (hollandais j’apprendrai après) arrive. Ils ne parlent pas trop espagnol, je leur fais en anglais le résumé du problème et leur explique pourquoi ils ne peuvent pas continuer. Esteban me regarde du coin de l’œil pendant que je leur explique, surement satisfait de ne pas avoir à le faire. Puis, il m’appelle et m’invite à déjeuner avec lui et le groupe avec lequel il est. Tout le monde est installé autour de la nourriture dans l’herbe, au milieu de cochons et des moutons qui gambadent. Il me dit d’appeler le couple de hollandais aussi, et nous nous installons tous pour partager leur repas, qu’ils nous offrent de bon cœur. Je passe un super moment avec eux, c’est complètement improbable après les événements de la matinée.

 

Après le repas, nous remercions chaleureusement nos hôtes, et repartons tous les 3 en direction du sud. Arrivés au village, nous nous séparons, le couple de hollandais redescend vers le port de Yumani, je descends pour ma part de l’autre coté vers le port situé dans une petite crique que j’ai observé hier depuis le sommet. La descente est agréable, je passe un moment à flâner en bas, je fais un peu trempette dans le lac, enfin juste les pieds parce qu’elle est quand même super froide ! L’endroit est très calme, peu fréquenté, que ce soit par les locaux ou les touristes. La remontée est moins drôle, mais il n’y a pas d’autres chemins pour repasser de l’autre coté et rentrer à l’hôtel pour y finir la journée. Je rentre quand même avec un sentiment bizarre, le fait d’être sur une île est déjà particulier en soit, mais j’ai l’impression que l’interdiction de pouvoir aller où j’ai envie me fait un peu sentir emprisonné. Je vais passer ma dernière soirée tranquillement à l’hôtel, et malgré les magnifiques paysages que j’ai pu découvrir pendant mon séjour ici, je suis content de partir demain pour La Paz.