Jour 166 – De Nadi à Rakiraki

Ma récupération du décalage horaire aura été un vrai échec. Je n’ai réussi à trouver le sommeil que tard dans la nuit. Heureusement, je n’avais pas prévu de partir aux aurores. Je fais aujourd’hui la découverte des bus locaux, qui ne sont pas sans me rappeler les bus indiens : des rangées de 5 sièges et toutes les fenêtres ouvertes, s’il y en a ! Je dois d’abord rejoindre la station de bus centrale depuis le quartier excentré de l’auberge. Puis je rejoins ensuite la deuxième ville du pays, Lautoka par la Queen’s road. L’île de Viti Levu (la plus grande des îles Fidjienne sur laquelle je me trouve) possède un réseau routier plutôt simple. Lautoka est rallié à Suva (la capitale) par la King’s road au nord, et par la Queen’s road au sud. Ce sont les deux plus grandes routes du pays, et elles sont à peine plus grandes qu’une de nos nationales. Le trajet de Lautoka jusqu’à Rakiraki offre de magnifiques points de vue sur les étendues vertes fidjiennes, et au loin sur les montagnes. Je me fais déposer au bord de la route pour rejoindre la maison de Jioji & Alisi. Je suis la route indiquée à travers les chemins de terre et finis par me faire indiquer la maison par un voisin, tout le monde les connait. Ils ne sont pas là quand j’arrive, mais je suis accueilli par deux de leurs fils qui me montrent tout ce qu’il faut.

 

Je me mets au rythme Fidjien et reste sur la terrasse tranquillement à papoter avec eux en attendant leurs parents. Je continue à faire de même quand Jioji arrive avec lui. Il y a pas mal de monde dans la maison. Il m’explique qu’un de ses fils s’est marié et que toute la famille est venue. Il faut savoir que Jioji & Alisi ont onze enfants (de 5 ans à 28 ans) ! Ça fait déjà pas mal de monde en famille proche. Je parle et programme les plongées de demain avec Jioji, qui est aussi instructeur PADI. Puis je pars faire un petit tour des environs, histoire de voir un peu le coin. On est en bord de mer, mais il n’y a pas de plage, c’est une mangrove qui occupe la côte à cet endroit. De l’autre côté de la petite baie, une autre île où l’on aperçoit un village. Les champs de canne à sucre dominent, et je me balade en empruntant les chemins entre les parcelles. Je ne rentre pas trop tard car je dois faire la cérémonie du Sevu Sevu. En gros, comme j’arrive dans le village, je dois me présenter au chef du village pour obtenir son autorisation de rester, et sa bénédiction. C’est aussi l’occasion d’un échange et d’une discussion assez ouverte. Jessie (un des fils de Jioji) m’explique que ce n’est pas réservé aux étrangers, et que n’importe qui se présentant dans un village d’où il n’est pas originaire doit faire de même. Je pense quand même que les locataires des grands Resort touristiques de la côte ne le font pas. Toute la cérémonie se déroule autour du Kava, une boisson obtenue à partir d’une racine âgée de 3 ans (au moins) pilée et mélangée avec de l’eau. Et on boit cul sec dans un petit bol après avoir fait un bruit sourd avec les deux mains, et en disant « Bula » (bienvenue ou bonjour en Fidjien). On ne va pas se mentir, la boisson n’est pas super bonne, et j’ai l’impression de boire de l’eau terreuse. Ma langue est assez vite anesthésiée, et la fatigue monte. Apparemment c’est l’effet normal.

 

Les Fidjiens sont réputés pour être le peuple le plus accueillant au monde, depuis hier toutes mes rencontres ne font que le confirmer. Cet échange avec le Chef du village, Jioji et Jessie est très intéressant. Il me permet d’aborder le sujet de la structure sociale Fidjienne, et d’essayer de comprendre le système des chefs de village. Il faut savoir que la fonction se passe de frère en frère, puis au fils ainé s’il n’y a plus de frère. Le chef peut s’il ne veut pas ou plus assumer la fonction, la donner à une autre famille. Toutes les villes et les provinces ont donc des familles de chef. J’aborde aussi le système de santé, qui n’est pas reluisant ici selon leur dire. Ils ont même presque 20 ans de durée de vie de moins qu’un européen. S’ils veulent accéder à des vrais soins, il leur faut se rendre en Australie ou en Nouvelle-Zélande mais tout le monde ne peut pas se le payer. On parle bien sûr aussi un peu rugby, c’est quand même le sport national. Ils connaissaient même l’équipe de Clermont-Ferrand ! Le chef doit ensuite partir pour une histoire de construction sur un terrain. Jessie m’emmène avec lui sur un terrain de volley non loin où toute la jeunesse du coin s’est réunie pour un match géant. C’est ici la fin de l’année scolaire et tous ont un mois de vacances. Tous sont donc rentrés au village retrouver leurs familles, c’est la tradition.

 

Vers 7h, chacun rentre chez soit pour la prière du soir. Les Fidjiens sont pour la plupart Méthodistes, et très croyants. Je m’installe sur la terrasse en les attendant, bercé par leur chant qui est je dois dire très agréable à entendre. Ce moment de prière m’aura permis d’aborder le sujet de la religion, puis des différentes religions pratiquées ici. Il y a en fait une grosse communauté indienne (plus de 40% de la population) qui est soit hindou, soit musulmane. Ces indo-fidjiens sont des descendants des esclaves que les Britanniques ont emmenés sur l’île pour cultiver la canne à sucre au 19ème siècle. Jioji m’explique qu’avant l’arrivée des anglais, il n’y avait que des tribus, sans habitat en dur et s’adonnant joyeusement au cannibalisme. Ça parait complétement fou de se dire que c’était il y a deux cents ans. Malgré tout, beaucoup de traditions Fidjiennes ont perduré, toute en étant enrobée dans une modernité galopante. Le mixage avec la culture anglaise a lui aussi créé de nouvelles traditions. Mais il n’y a actuellement plus aucune emprise de l’Angleterre sur les Fidji, puisqu’ils n’ont pas seulement obtenu leur indépendance, mais ils ne sont pas restés dans le Commonwealth non plus. Il y un donc contraste assez particulier et on sent que les Fidjiens vivent un peu coincés entre tout ça, les traditions, la modernité, le neuf, l’ancien, le manuel, et les technologies. Pour preuve, les vieux bus qui semblent sortir d’un autre âge, sont tous équipés de lecteur de carte numérique, et les tickets papiers sont bannis.

 

Je partage ensuite le dîner avec la famille, et c’est un vrai régal ! Après l’Australie, ça fait du bien de manger des plats un peu plus élaborés, et surtout des légumes ! La famille est tellement nombreuse ce soir que tout le monde se met où il peut car la table est bien trop petite. Ensuite, une partie des enfants qui vit en Nouvelle-Zélande reprend le chemin de l’aéroport, tandis que les autres vont progressivement se coucher ou vaquer à leur occupation. Je fais de même, et continue de profiter de la soirée sur la terrasse, au rythme Fidjien.