Jour 345 – Hébron et Bethlehem

Ce post est particulier, en raison de la complexité de la situation actuelle déjà. Aussi, je ne voulais pas me censurer, et j’ai donc choisi de ne pas publier l’article le jour même, principalement pour ne pas avoir de problème en sortant du pays, à l’aéroport Ben Gurion où les contrôles de sécurité sont plus que poussés et où téléphone et ordinateur peuvent être fouillés. Cet article reflète aussi mon sentiment du jour, ce qui est le principe de mon écriture de ce carnet de voyages. J’ai donc fait le choix de rédiger exceptionnellement et a posteriori une deuxième partie, qui complète la vision du conflit que j’ai eue ce jour-là, au regard de mes discussions avec l’autre camp les jours suivants.

 

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Nous partons de bonne heure, et prenons un bus au niveau de la porte de Damas en direction de Bethlehem. Nous découvrons de plus près le mur, et passons à coté d’un check point, mais dans ce sens là il n’y a pas de contrôle. A la descente du bus, nous retrouvons notre guide Usama, avec lequel nous échangeons depuis quelques jours.

 

Directement, nous prenons un taxi collectif en direction de Hébron. Usama nous raconte le fil de l’histoire moderne, et aussi un peu les origines. Je comprends que les deux peuples ont des origines communes et que les mêmes évènements sont fondateurs (Adam, Abraham..). Dans le conflit actuel, en tout cas avec l’exemple que nous avons à Hébron, la religion ne parait pas être la raison première. La politique et la conquête territoriale semblent être le moteur du conflit, ce dernier prend même le visage d’une guerre fratricide.

 

Usama nous fait une première explication du fonctionnement de la Cisjordanie. Il y a trois zones :

– la A qui est sous autorité et contrôle du gouvernement palestinien (en théorie interdit aux Israéliens)

– la B qui est sous autorité mixte mais sous contrôle de l’armée israélienne (et donc sous le coup de la loi militaire, et non civile)

– la C qui est entièrement sous contrôle israélien, avec certains bouts de la zone complétement interdit aux palestiniens. C’est les zones où les colonies (légales et illégales) sont installées.

 

Jérusalem Est et Hébron sont exclus de ce zonage et ont un traitement particulier. Quand on regarde la carte, on comprend à quel point les territoires palestiniens ne sont qu’un gigantesque gruyère. Tout est fait pour compliquer les déplacements, et limiter la liberté de mouvements de Palestiniens. A cela, il faut ajouter la construction du mur qui sert à séparer les zones entre elles. Le mur ne suit absolument pas la ligne verte, qui est la ligne officielle de séparation décidée en 1967.

 

Coté check point, il y en a des fixes mais finalement pas tant que ça en comparaison de la centaine de check point volants. Les blocages de route peuvent arriver sans prévenir, on sent que tout est sous tension permanente. Les panneaux rouges à l’entrée des zones A ne sont pas là pour aider, le message est clair : Israéliens n’y entrez pas, ou votre vie sera en danger (…).

 

Nous arrivons à Hébron, autre ville importante pour les 3 religions monothéistes, car le tombeau d’Abraham s’y trouve. C’est aussi la seule ville palestinienne dans laquelle il y a des colonies dans la ville. Hébron est séparée en 2 zones, la H1 qui est entièrement palestinienne, et la H2 qui encercle les zones colonisées.

 

Des quartiers entiers ont été désertés pas les Palestiniens, sujets à une répression constante, voire à des agressions de la part des colons. Des ONG ont fait installer des grillages protecteurs au-dessus des petites rues de la vieille ville pour protéger les locaux des jets de pierre et d’ordures venant de certains colons. Des rues entières sont barricadées, certaines ouvertes, mais ultra surveillées et interdites aux Palestiniens. Nous parcourons le marché palestinien de la vieille ville. Il est bien déserté, elle est loin l’époque fastueuse des fabriques de céramiques et de verreries.

 

Nous visitons ensuite la grande mosquée, et de l’autre coté la synagogue. Les deux religions se partagent le même bâtiment (depuis qu’un fanatique américain juif a fait une tuerie dans la mosquée), au-dessus du tombeau d’Abraham que les deux revendiquent. De là nous rencontrons (de loin heureusement) notre premier colon, avec un fusil automatique en bandoulière, et un pistolet à la ceinture. Ici, ils sont obligés d’être armés, avec des balles bien réelles. On a bien la sensation d’être en zone de guerre, Usama utilise le terme apartheid et il n’est pas trop fort pour décrire la situation (différence de traitement entre les Israéliens et Palestiniens au niveau des déplacements, des logements, du droit de porter plainte, etc. et actuellement il y a 6 types de carte d’identité).

 

Pour le déjeuner, nous rejoignons un groupe d’Irlandais pour partager un repas palestinien dans une maison à l’arrière d’une boutique. Ensuite, Usama nous laisse traverser la colonie seuls, car il n’y est pas autorisé. Il tient à ce que nous voyons l’autre camp. Il nous retrouvera de l’autre côté. Nous découvrons des rues un peu désertes, un peu mieux entretenues mais sous grosse surveillance militaire. Un panneau raconte l’histoire de l’implantation de la colonie ici, mais cette histoire est bien différente de la version que l’on nous a raconté. Nous ressortons de l’autre coté dans le Hébron moderne, et dynamique sans aucune interpellation.

 

Il faut quand même tempérer, car oui les colons ont une mentalité très extrême, et oui la façon dont sont gérées les colonies est intolérable. Mais le problème est qu’ils ont le soutien du gouvernement, et donc de l’armée. Cependant, ils ne représentent pas la pensée israélienne générale, bien au contraire puisque la plupart veulent la paix, et sont contre les colonies. On nous dira que le problème est que cette population-là, contrairement aux ultra-orthodoxes (politisés) reste donc peu influente malheureusement. Usama nous dira aussi que certains jeunes après leurs services militaires cherchent à sensibiliser la population sur les actions de l’armée, et sur la réalité du terrain. Au niveau politique, il faudrait que les Etats-Unis stoppent leur soutien indéfectible au gouvernement israélien pour que sur le terrain diplomatique, la pression internationale puisse servir.

 

Les militaires, c’est encore un point assez choquant. Le service militaire obligatoire dure 3 ans pour les garçons, 2 ans pour les filles et se fait après les études. C’est donc des jeunes de 17 ans, armés jusqu’au dents qui surveillent et contrôlent. Il y a donc beaucoup de dérapages. Les Palestiniens filment dès qu’ils peuvent pour avoir des preuves devant les tribunaux, mais le nombre d’incidents et d’assassinats de sang-froid que l’on nous raconte est glaçant. Et souvent les crimes restent impunis ou peu punis.

 

Nous quittons Hébron avec le moral un peu en berne, sur le chemin du retour, la radio annonce qu’une voiture s’est fait tirer dessus à un check-point. Nous passons à coté de la scène… définitivement la tension est palpable. Usama nous laisse à Bethlehem, et clôture ainsi notre immersion dans le conflit.

 

Nous profitons de notre passage à Bethlehem pour découvrir l’église de la nativité, le soi-disant lieu de la naissance de Jésus dans une crypte sous l’église, et un peu les lieux saints chrétiens de la ville. Il est ensuite temps de rentrer vers Jérusalem-Est, nous passons notre premier check point routier pour ça. Les Palestiniens doivent descendre du bus pour être contrôlés, nous attendons dedans pour attendre le contrôle des militaires.

 

Nous aurons un autre contrôle inopiné à l’arrivée dans la ville. Nous rentrons ensuite à pied jusqu’à l’auberge dans la vieille ville. Nous sommes bien harassés, la journée fut émotionnellement intense. Nous retrouvons le Français avec qui nous avions discuté hier soir, nous débriefons un peu notre journée avec lui. Il est très au fait du fonctionnement ici car il y a passé pas mal de temps, et il nous apporte un éclairage différent sur nos apprentissages du jour. Rien n’est simple ici, entre les différents courants religieux, les intérêts étrangers qui influencent, les susceptibilités, mais aussi la répartition des ressources naturelles. Le problème territorial a aussi comme raison l’accès à l’or bleu qui est une source rare dans la région.

 

Nous garderons en mémoire les sourires et l’envie de paix des Palestiniens croisés. Nous garderons aussi en mémoire que les extrémistes ne sont pas représentatifs de tout un pays. Et enfin, nous gardons en mémoire l’idée qui germe de plus en plus dans les têtes : un état unique qui réunirait Israël et Palestine, avec une population placée sur un pied d’égalité.

 

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Je n’ai pas la prétention d’apporter quoi que ce soit au débat, je suis un simple observateur, et peut être cette position m’apporte une aide pour comprendre, ou bien essayer. En discutant avec des Israéliens modérés, voilà à peu près ce que je retiens. La plupart des gens sont pour une entente et une paix durable, ils n’ont pas d’animosité particulière envers les Palestiniens. Mais cependant, ils militent pour deux états indépendants, et chacun chez soi.

 

Ce qui motive cette volonté, c’est aussi l’escalade de la peur. Il y a quelques dizaines d’années, chacun était à peu près libre de se rendre où il voulait. Maintenant, ceux qui vivent en dehors des zones sujettes à conflit ont peur, même de se rendre à Jérusalem-Est (où pourtant nous ne nous sommes pas sentis une seule fois en insécurité). Les attaques répétées ont insidieusement installé cette peur ambiante, et l’escalade militaire n’a pas cessé ces dernières années. Mais cette guerre froide (ou paix froide dans le cas de l’Egypte) concerne aussi les relations avec les pays voisin, le Liban ayant toujours des missiles braqués sur Israël, et vice versa.

 

Ce qu’on retient aussi, même si c’est un lieu commun, c’est qu’un gouvernement ne représente pas nécessairement les idées du peuple. En l’occurrence sur l’épineux sujet de la colonisation, le gouvernement actuel (d’extrême droite) a besoin de l’appui des colons pour rester au pouvoir, et donc fait tout pour aider cette soif de conquête territoriale. Là est le problème, il faudrait démanteler toutes les colonies pour redonner un territoire qui ne soit pas un gruyère à la Palestine.

 

Mais là du point de vue israélien, un autre problème se pose. Ils demandent un vrai pouvoir, une vraie voix palestinienne. Une voix qui ne jouerait pas un double jeu (politique et terroriste) et travaillerait uniquement dans le sens de la paix. La fin des année 90 a connu un leader israélien qui aurait pu faire avancer les choses, si malheureusement il n’avait pas été assassiné pas un extrémiste. Car au final, une des bases du problème est aussi les extrémistes politiques des deux côtés.

 

Lors de nos discussions, il aura aussi été abordé le sujet des problèmes de gestion palestinienne, en l’occurrence à Gaza. Ils sont assez critiques, car Israël fourni eau, électricité et nourriture, mais en échange ils reçoivent des roquettes et des attaques (je cite seulement ce qu’on nous a dit).

 

Nous aurons aussi des échanges avec des jeunes pour qui l’armée n’est pas un lointain souvenir. L’armée a une grande place dans la vie des Israéliens, vu le temps que chaque jeune y passe. Personne ne semble remettre en cause un service aussi long, mais à demi-mot on nous dit que oui, quand on est armé jusqu’aux dents à 18 ans, et qu’on est dans une situation complexe où l‘on a peur, on peut tirer sans réfléchir. Est-il judicieux de confier la sécurité et la surveillance des zones conflictuelles à des jeunes de ces âges-là, je n’ai pas de réponse, mais la question est là aussi épineuse.

 

Tout n’est pas noir d’un côté et blanc de l’autre. Quand on écoute Israéliens et Palestiniens (hors extrémiste bien entendu), chaque discours semble cohérent et tombe sous le sens. Aucun des deux camps ne semble avoir de revendication inconsidérée, alors il faut probablement trouver une vérité entre les deux. Ce que je retiens en résumé, c’est qu’il y a une volonté de faire respecter les accords territoriaux de 1967, mais une autre de se protéger aussi comme il se doit. Reste à ce que la politique des deux côtés soit dorénavant à la hauteur de la volonté des peuples, et peut être que les instances internationales cessent la politique de l’autruche.