Jour 277 – Johannesburg #3

A 10h précises, notre guide du jour Nkuli (dit NK) se présente pour venir nous chercher au volant de sa voiture. Nous partons en direction de Soweto (nom provenant de l’acronyme South West Township), et NK profite du trajet pour commencer à nous faire des explications. On se sent directement très à l’aise avec lui.

 

Nous abordons un premier lieu du quartier de Soweto, quartier qui devrait être élevé au rang de ville avec ses presque 3 millions d’habitants. Nous sommes dans la zone de Orlando, avec les Orlando Towers. Ce sont deux cheminées gigantesques, vestige du système de refroidissement d’une centrale de production électrique qui a fermé. Le lieu a été transformé, pour des activités comme le saut à l’élastique ou la chute libre (sur un tapis à l’intérieur d’une cheminée), et aussi en bar. La surface entière des cheminées a été transformée en surface d’expression pour le street art, on a pu en admirer le résultat. Dans les peintures, des hommages au quartier sont faits, d’autres aux langues (NK a essayé de nous apprendre quelques mots de zoulou) d’autres au foot en citant les deux équipes phares de Soweto. Nous découvrons un dernier hommage qui nous fait bien rire, un énorme « pata pata » est écrit en référence à la chanson de Miriam Makeba. Je suis de la même année que NK, nous sommes tous les trois de la même génération et nous avons tous les trois le souvenir de cette chanson dans notre enfance. Par cette visite, nous prenons conscience de l’évolution et du tournant que prend Soweto, qui était encore il y a encore quelques années jugé comme un des endroits les plus dangereux au monde.

 

Nous reprenons ensuite la voiture pour nous rendre dans ce qui est devenu maintenant le centre de Soweto, à Vilkazi Street. Aujourd’hui, le quartier a un visage particulier, des policiers sont en faction un peu partout, et les rues très animées. Nous ne sommes pas particulièrement au fait de l’actualité, mais nous apprenons que Winnie Mandela, la seconde femme de Nelson Mandela, est décédée (le 2 avril dernier). Ce soir aura lieu dans le stade de Soweto la veillée en son honneur, et demain auront lieu les funérailles nationales.

 

Nous visitons d’abord la maison des Mandela, celle qui fut leur demeure durant 40 ans. Il s’agit d’une des petites maisons en brique que le gouvernement fournissait contre loyer au noirs et gens de couleurs (terme officiel pour les métisses, indiens et chinois) quand ils les expulsaient du centre-ville vers les banlieues isolées. La maison est chargée d’histoire, et a été transformée en musée. Nous en apprenons un peu plus sur l’homme et sur sa famille. Il est revenu vivre ici suite à sa libération, mais il n’y sera resté que 11 jours. La pression des journalistes du monde entier l’aura fait fuir dans une résidence plus tranquille, après 27 ans d’isolement on peut comprendre que ce fut trop d’un coup.

 

En passant dans la rue, nous passons devant la maison de Desmond Tutu, archevêque et également prix Nobel de la paix. Le rue porte d’ailleurs le surnom de « la marche des prix Nobel ». Nous continuons un peu dans les rues, NK nous présente le quartier comme un quartier de classe moyenne. Nous avions découvert en arrivant une zone de la classe un peu plus riche des habitants de Soweto, la différence se voit surtout sur les maisons, et la présence ou non de clôtures plus ou moins sécurisées. Des petites rues, nous traversons un terrain vague pour rejoindre une rue particulière, à ce moment-là presque entièrement barricadé. Au bout de cette rue se trouve la dernière demeure de Winnie Mandela, là où son corps réside jusqu’au funérailles de demain. Winnie s’est installée dans cette demeure à l’épreuve des balles, dans une période où les guerres entre communauté ont été plus violentes que jamais (elle vivait séparée de Nelson, déjà avant leur divorce en 1996). En étant là aujourd’hui, devant sa maison, avec tous ces gens qui font la queue pour déposer des fleurs, nous avons un peu l’impression de vivre en direct un moment important de l’histoire. Winnie s’est battue aux côtés de Nelson, a aussi fait de la détention et subi pendant des dizaines d’années les harcèlements de la police et du gouvernement de l’apartheid, elle fut « le bouc émissaire d’un pouvoir pâle particulièrement sadique qui avait juré de faire craquer son époux en la persécutant ». Malgré quelques scandales autour d’elle, les sud-africains lui confèrent un statut bien particulier, et l’hommage de demain dans un stade bondé en sera encore la preuve.

 

Avant de quitter la zone, nous passons par le mémorial Hector Pieterson, en hommage à la plus jeune victime des représailles des manifestations de 1976, il avait alors 12 ans. Son nom a été mis en avant, mais le mémorial est en hommage aux 600 jeunes tués en 3 mois dans ces manifestations. Il protestait entre autres contre la mise en place de l’apprentissage de l’Afrikaans obligatoire (la langue des Boers), comme langue principale en remplacement de l’Anglais. Imposer sa langue fut un des plus grands affronts du gouvernement Boers contre les populations victimes de l’apartheid. Ils ont malheureusement réussi, et ce jusqu’en 1992 et l’abrogation de cette loi.

 

Nous rejoignons ensuite la zone de Kliptown, NK nous emmène là où il a grandi, et là où il a depuis deux ans créé une association pour promouvoir l’éducation des jeunes, faire de l’aide scolaire, mais aussi proposer des activités extra-scolaires. Le but est bien sûr d’éduquer, mais aussi d’éviter que les jeunes désœuvrés ne traînent dans les rues et ainsi éradiquer la violence, la drogue et les grossesses chez des adolescentes. Tout un travail de sensibilisation est à faire. Ils ne sont que 6 pour s’occuper de tous les jeunes, le travail est titanesque. Un des membres de l’association nous fait faire le tour de la zone, et nous faire découvrir les habitats de la population. Nous n’avions pas forcément l’envie de faire du voyeurisme, mais nous nous retrouvons guidés dans les petites allées du bidonville de Kliptown. Quelques toilettes de chantier servent à tout le monde, un petit tuyau sert d’arrivée d’eau pour des centaines de personnes qui vivent des habitats insalubres. Certains sont en attente d’un logement social, ils peuvent attendre au moins 12 ans parfois. Le gouvernement a une politique de construction mais elle est ralentie car les propriétaires des terres constructibles ont souvent quitté le pays et restent introuvable, parfois ils refusent de vendre au prix d’achat que propose l’état (et ce dernier ne fait pour le moment pas de confiscation de terre). Nous sommes malheureusement face à une des réalités du pays, mais on peut se dire que Soweto dans sa globalité évolue, et que des associations comme celle de NK aide à faire avancer les choses.

 

Nous parlons un moment avec la femme de NK qui fait aussi partie de l’association, cela nous permet de mieux comprendre leur projet, et de leur glisser quelques idées pour communiquer autour (https://www.facebook.com/SOWE22). Nous reprenons ensuite la route avec NK pour rentrer vers notre quartier. Dans la voiture, nous continuons de parler et d’échanger.

 

Nous apprenons que le président actuel est en fait au pouvoir depuis un mois seulement. Il est originaire d’une des zones de Soweto, et la population semble placer en lui beaucoup d’espoir. Le précédent président a été destitué avant la fin de son mandat suite à un scandale de corruption, ce dernier était aussi président de l’ANC, le parti au pouvoir. Les instances du parti ont fait le calcul de le destituer avant les élections de 2019, pour redorer le blason du parti. Les élections auront quand même lieu en 2019, c’est donc un challenge pour le président actuel d’être réélu. L’histoire du pays est en train se s’écrire, et nous espérons avoir l’occasion de revenir, et de découvrir à ce moment un pays qui aura relevé la tête.

 

C’est la tête bien remplie et le cœur un peu lourd que nous rentrons. La visite d’aujourd’hui était le parfait complément aux visites des dernier jours, mais le sujet est dur à absorber, et à digérer. NK a rendu cette visite intéressante, vivante, et elle était parfaitement bien gérée. C’était crucial je pense de visiter Soweto avec un de ses enfants, un de ses membres qui connait son histoire parfaitement (heureusement que nous pouvons comprendre l’anglais !). Après tout ça, nous passons une fin d’après-midi un peu plus légère à Melville. Le soir, nous allons boire un verre avec Bartho, pour passer un dernier moment ensemble, il aura été un hôte en or pour notre séjour à Johannesburg.